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UPA-BUA Union Professionnelle d'Architectes
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ICOMOS Déclaration de Québec 2008

DÉCLARATION DE QUÉBEC SUR LA SAUVEGARDE DE L’ESPRIT DU LIEU (2008)

Adoptée à Québec, Canada, le 4 octobre 2008

 

Préambule

Réunis dans la ville de Québec (Canada) du 29 septembre au 4 octobre 2008, sur l’invitation d’ICOMOS Canada, à l’occasion de la 16e assemblée générale du Conseil International des Monuments et des Sites (ICOMOS) et des célébrations marquant le 400e anniversaire de la fondation de la ville de Québec, les participants adoptent cette Déclaration de principes et de recommandations destinée à la préservation de l’esprit du lieu, par la sauvegarde du patrimoine matériel et immatériel, qui est envisagée comme un moyen novateur et efficace de contribuer au développement durable et social à travers le monde.


Cette Déclaration s’inscrit dans une série de mesures et d’actions entreprises depuis quelques années par ICOMOS pour sauvegarder et promouvoir l’esprit des lieux, principalement leur caractère vivant, social et spirituel. En 2003, ICOMOS a consacré le symposium scientifique de sa 14e assemblée générale, tenue à Victoria Falls, au Zimbabwe, au thème de la conservation des valeurs sociales immatérielles de monuments et de sites. Par la Déclaration de Kimberley de 2003, ICOMOS s’est engagé à tenir compte des composantes immatérielles (mémoires, croyances, appartenances, savoir-faire, affects) et des communautés locales qui les portent et les conservent dans la gestion et la conservation des monuments et des sites régis par la Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel de 1972. La Déclaration ICOMOS de Xi’an de 2005 attire l’attention sur la conservation du contexte, défini comme étant constitué par les éléments physiques, visuels et naturels ainsi que par les pratiques sociales ou spirituelles, les coutumes, les métiers, les savoir-faire traditionnels et les autres formes et expressions immatérielles, dans la protection et la mise en valeur des monuments et des sites du patrimoine mondial. Elle souligne également la nécessité d’une approche multidisciplinaire et l’utilisation de sources diversifiées pour mieux comprendre, gérer et conserver le contexte. La Déclaration de Foz Do Iguaçu de 2008, ICOMOS-région des Amériques, précise que la sauvegarde des éléments matériels et immatériels est fondamentale pour la préservation de l’identité des communautés qui ont créé et transmis des espaces patrimoniaux. Les nouvelles chartes sur les Itinéraires culturels et sur l’Interprétation et la présentation d’ICOMOS, élaborées après de nombreuses consultations, et présentées pour ratification à la 16e assemblée générale, accordent aussi une place importante au patrimoine intangible et spirituel des lieux. En raison de l’interdépendance du patrimoine matériel et immatériel ainsi que du sens, des valeurs et des éléments contextuels que le patrimoine immatériel donne aux objets et aux lieux, ICOMOS envisage l’adoption d’une charte consacrée spécialement au patrimoine culturel immatériel des monuments et des sites. A ce sujet, nous encourageons la mise en place de débats pour définir un nouveau vocabulaire conceptuel qui ferait part des changements ontologiques de l’esprit du lieu.


L’assemblée générale de Québec, plus particulièrement le Forum des jeunes, le Forum des autochtones et le Symposium scientifique, ont permis de poursuivre cette réflexion avec encore plus de détermination et d’éclairer les rapports entre le patrimoine matériel et immatériel et les mécanismes qui régissent l’esprit du lieu. Rappelons que l’esprit du lieu peut être défini comme l’ensemble des éléments matériels (sites, paysages, bâtiments, objets) et immatériels (mémoires, récits oraux, documents écrits, rituels, festivals, métiers, savoir-faire, valeurs, odeurs), physiques et spirituels, qui donne du sens, de la valeur, de l’émotion et du mystère au lieu. Plutôt que de séparer l’esprit du lieu, l’immatériel du matériel, et de les mettre en opposition, nous avons exploré les différentes manières dont les deux sont unis dans une étroite interaction, l’un se construisant par rapport à l’autre. L’esprit construit le lieu et, en même temps, le lieu investit et structure l’esprit. Les lieux sont investis par différents acteurs sociaux, tant les concepteurs que les utilisateurs qui participent très activement à la construction de leur sens. Envisagé dans sa dynamique relationnelle, l’esprit du lieu prend ainsi un caractère pluriel et polyvalent, et peut posséder plusieurs significations et singularités, changer de sens avec le temps et être partagé par plusieurs groupes. Cette approche plus dynamique est mieux adaptée à un monde globalisé, caractérisé de plus en plus par les migrations transnationales, les populations relocalisées ou délocalisées, les contacts interculturels, les sociétés multiculturelles et les appartenances multiples.


La notion d’esprit du lieu permet de mieux comprendre le caractère à la fois vivant et permanent des monuments, des sites et des paysages culturels. Elle donne une vision plus riche, dynamique, large et inclusive du patrimoine culturel. L’esprit du lieu existe, sous une forme ou une autre, dans pratiquement toutes les cultures du monde et est une construction humaine destinée à desservir des besoins sociaux. Les groupes qui habitent le lieu, surtout lorsqu’il s’agit de sociétés traditionnelles, devraient être intimement associés à la sauvegarde de sa mémoire, de sa vitalité et de sa pérennité, voire de sa sacralité.


Les participants de la 16e assemblée générale adressent la présente Déclaration aux organisations intergouvernementales, aux autorités nationales et locales ainsi qu’à toutes les institutions et à tous les spécialistes aptes à contribuer par la législation, par les pratiques, par les processus d’aménagement et de planification ainsi que par la gestion à une meilleure sauvegarde et à la promotion de l’esprit du lieu.

 

Repenser l’esprit du lieu

1. Reconnaissant que l’esprit du lieu est constitué d’éléments matériels (sites, paysages, bâtiments, objets) et immatériels (mémoires, récits oraux, documents écrits, rituels, festivals, métiers, savoir-faire, valeurs, odeurs), qui servent tous de manière significative à marquer un lieu et à lui donner un esprit, nous demandons à ce que tout projet de conservation et de restauration de monuments, de sites, de paysages, de routes, de collections et d’objets et à ce que toute législation sur le patrimoine culturel tiennent compte autant des composantes matérielles que des composantes immatérielles de l’esprit du lieu.

2. Puisque l’esprit du lieu est complexe et multiforme, nous demandons aux gouvernements et aux organismes patrimoniaux d’exiger la composition d’équipes multidisciplinaires de chercheurs, de personnes issues des milieux culturels et cultuels et de praticiens traditionnels afin de mieux comprendre, de préserver et de transmettre l’esprit du lieu.

3. Sachant que l’esprit du lieu est un processus construit et reconstruit pour répondre aux besoins de continuité et de changement des communautés, nous soutenons qu’il peut varier avec le temps et d’une culture à une autre en fonction de leurs pratiques mémorielles, et qu’un même lieu peut posséder plusieurs esprits et être partagé par différents groupes.


Identifier les menaces mettant en péril l’esprit du lieu

4. Étant donné que les changements climatiques, le tourisme de masse, les conflits armés et le développement urbain conduisent à des transformations et à des ruptures dans les sociétés, il nous faut mieux comprendre ces menaces afin de prendre des mesures préventives et de planifier des solutions durables. Nous recommandons que les organisations gouvernementales et non gouvernementales, les associations patrimoniales locales et régionales, développent des plans stratégiques à long terme pour mieux protéger l’esprit du lieu et son environnement. De même, les habitants ainsi que les autorités locales doivent être sensibilisés à la sauvegarde de l’esprit du lieu pour faire face aux menaces dues aux transformations du monde actuel.

5. Compte tenu que le partage de lieux investis d’esprits différents augmente le risque de tensions et de conflits, nous considérons que ces sites nécessitent des plans de gestion spécifiques, adaptés au contexte pluraliste des sociétés multiculturelles modernes. Comme les menaces qui pèsent sur l’esprit des lieux sont particulièrement élevées chez les groupes minoritaires, autochtones et allochtones, nous recommandons que ces groupes bénéficient prioritairement de politiques et de pratiques spécifiques.


Sauvegarder l’esprit du lieu

6. Étant donné que dans la plupart des pays du monde d’aujourd’hui l’esprit du lieu, particulièrement ses composantes immatérielles, ne bénéficie ni de programmes d’éducation formels ni de cadres de protection juridique, nous encourageons fortement la mise sur pied de programmes de formation et l’adoption de nouvelles lois destinées à la conservation et à la gestion de l’esprit du lieu.

7. Considérant que les technologies modernes (bases de données numériques, sites Internet) permettent de constituer rapidement et efficacement des inventaires multimédias qui intègrent les éléments matériels et immatériels du patrimoine, nous recommandons fortement leur utilisation pour mieux conserver, diffuser et promouvoir les lieux patrimoniaux et leurs esprits. Ces technologies facilitent la diversité et le renouvellement constant de la documentation sur l’esprit du lieu.


Transmettre l’esprit du lieu

8. Reconnaissant que l’esprit du lieu est transmis essentiellement par des personnes et que la transmission participe activement à sa conservation, nous déclarons que c’est par la communication interactive et la participation des communautés concernées que l’esprit du lieu est sauvegardé, employé et enrichi. La communication permet ainsi de garder l’esprit du lieu vivant.

9. Considérant que les communautés locales sont généralement les mieux placées pour saisir l’esprit du lieu, surtout dans le cas des groupes culturels traditionnels, nous soutenons qu’elles devraient être intimement associées à tous les efforts de conservation et de transmission de l’esprit du lieu. Les transmissions informelles (récits oraux, rites, performances, apprentissages artistiques et artisanaux) et formelles (programmes éducatifs, banques de données informatisées, sites Internet, trousses pédagogiques) devraient être encouragées, car elles assurent non seulement la sauvegarde de l’esprit du lieu, mais aussi, plus important encore, le développement durable et la vitalité de la communauté.

10. Reconnaissant que la transmission intergénérationnelle et que la transmission transculturelle sont des composantes importantes pour la sauvegarde et la diffusion de l’esprit du lieu, nous recommandons l’association et la participation des jeunes générations et des différents groupes culturels en lien avec le site à l’élaboration de politiques de protection et à la gestion de l’esprit du lieu.

 


source : https://www.icomos.org/images/DOCUMENTS/Charters/GA16_Quebec_Declaration_Final_FR.pdf