ACE-CAE Déclaration de Helsinki 2019
CONCEVOIR pour une ÉCONOMIE CIRCULAIRE (2019)
Comme beaucoup d'autres secteurs, les secteurs de la construction et du bâtiment fonctionnent en grande partie selon un modèle économique linéaire consistant à « prendre, fabriquer et jeter », partant du principe que les ressources sont abondantes et qu’il est possible d’en disposer sans conséquences. Cependant, nous prenons de plus en plus conscience de la finitude des ressources naturel es et de la fragilité de notre environnement, et par la même, de l’urgente nécessité de développer des modèles économiques plus durables et régénératifs, permettant aux ressources de rester dans le système économique aussi longtemps que possible et en évitant la production de déchets.
Les secteurs de la construction et du bâtiment ont un potentiel énorme en termes d'économie de ressources et de réduction des déchets. En 2017, la construction et l'exploitation des bâtiments représentaient 36% de la consommation d'énergie finale au niveau mondial et près de 40% des émissions de dioxyde de carbone (CO2) liées à l'énergie (1.) Dans l'Union européenne, la construction et l'utilisation des bâtiments représentent environ la moitié de tous les matériaux extraits et le secteur génère environ un tiers de tous nos déchets (2).
Il est urgent d’agir pour mettre en œuvre dans ces secteurs les principes de l’économie circulaire – l’architecture a un rôle crucial à jouer en la matière.
La phase de conception : le bon moment pour agir
Développer les principes de l'économie circulaire dans l'environnement bâti consiste fondamentalement à changer la façon dont nous concevons nos bâtiments pour garantir qu'ils puissent être exploités, entretenus, réparés, réutilisés ou adaptés à de nouveaux besoins, tout en optimisant la valeur des ressources et en générant le moins possible de déchets.
Le projet architectural rend les choses tangibles et concrètes et constitue le bon moment pour réunir toutes les parties prenantes d’un projet afin de discuter des défis de l’économie circulaire et s’entendre sur les meil eures stratégies pour créer le maximum de valeur possible en utilisant moins de ressources, et pour le plus longtemps possible. Si une architecture de haute qualité peut créer de la valeur et permettre d’optimiser l’utilisation les ressources, inversement, des bâtiments mal conçus peuvent générer beaucoup de déchets et des coûts considérables, à court terme et pour les générations futures.
Stratégies architecturales pour la circularité
Les solutions architecturales favorisant la circularité devraient consister en une hiérarchie d’actions visant à préserver et à améliorer la valeur des ressources :
- Approche culturelle – maintenir et réutiliser en premier lieu : préserver les ressources par une conception de haute qualité. La préservation et l'amélioration de l'environnement bâti existant constituent la meil eure stratégie pour éviter la génération de déchets. Les bâtiments socialement et culturel ement appréciés ont une durée de vie plus longue et incitent propriétaires et utilisateurs sur plusieurs générations à préserver les ressources qui y ont été investies. Ce que nous construisons ou rénovons aujourd’hui devrait aspirer à devenir le patrimoine culturel de demain. Par des rénovations et réaffectations intel igentes, des bâtiments inoccupés ou anciens peuvent trouver de nouvel es utilisations correspondant aux besoins sociaux, culturels, environnementaux et économiques de notre époque. Une tel e approche permet de préserver l’énergie intrinsèque des matériaux de construction, de réduire la consommation de matériaux de construction et de limiter l’étalement urbain.
- Approche fonctionnelle – concevoir des lieux adaptables pour répondre à des besoins changeants. La plupart des changements apportés à un bâtiment résulte du désir de l'occupant d'améliorer son cadre de vie ou de l'adapter à de nouveaux besoins, et non du fait de problèmes techniques ou d’un vieillissement prématuré des matériaux. Dans la plupart des cas, les bâtiments sont démolis parce que leur adaptation à de nouveaux besoins n’est pas considérée comme une option économique viable, et non pas parce qu’ils sont structurel ement dangereux. Pour que les bâtiments soient utilisés le plus longtemps possible, les architectes doivent concevoir des espaces et des structures adaptables, rendant possible des modifications futures pour de nouveaux usages.
- Approche technique – concevoir pour un remplacement facile. Bien que la structure des bâtiments puisse durer des siècles, certains composants ont une durée de vie beaucoup plus courte, en raison de leurs propres limites techniques ou du fait que les besoins des occupants changent avant que leur fin de vie théorique ne soit atteinte. Pour anticiper cette durée de vie plus courte, il est important que ces composants soient facilement accessibles et démontables, afin de permettre leur remplacement ou leur réparation, tout en minimisant les perturbations des composants les entourant. L’absence de fixations, des fixations faibles ou des fixations mécaniques amovibles (vis, boulons, etc.) font parties des solutions possibles.
- Approche matérielle – prescrire les bons matériaux pour faciliter le recyclage. Les architectes peuvent prescrire des composants et des matériaux pouvant être réutilisés ou recyclés à moindre coût; qui sont durables et robustes; faciles à manier; réparables; biodégradables - c’est-à-dire des matériaux qui peuvent être conservés longtemps dans le circuit économique.
Recommandations politiques pour soutenir les efforts des architectes
L'Union Européenne encourage le développement d'une économie circulaire dans le secteur des bâtiments. Level(s), un ensemble de macro-objectifs et d’indicateurs mis au point par la Commission européenne pour faciliter l’évaluation de la performance environnementale des bâtiments, peut constituer un outil utile à cet égard. Cependant, d'autres actions sont nécessaires pour soutenir l'approche architecturale :
- Toutes les initiatives et politiques de la Commission européenne ayant un impact sur l’environnement bâti devraient être étroitement coordonnées et conçues de manière à garantir que les principes de l’économie circulaire soient encouragés. En particulier : la Directive sur la performance énergétique des bâtiments (EPBD), l'Indicateur d’intelligence des bâtiments (SRI), Level(s), le Passeport Bâtiment, le Passeport Rénovation, les Directives sur l'éco-conception et l'étiquetage énergétique ; les Directives sur les marchés publics.
- Soutenir et permettre l’excellence dans la conception et la planification : préserver et améliorer la qualité de l’environnement bâti en mettant en œuvre des politiques architecturales et de planification centrées sur la qualité de la conception. Celles-ci devraient inclure des procédures visant à impliquer les parties prenantes, afin de créer le plus de valeur possible pour le plus grand nombre possible et garantir des solutions permettant la meil eure gestion possible des ressources investies tout au long du cycle de vie du bâtiment.
- Les méthodes d'évaluation du cycle de vie et d’analyse du coût du cycle de vie devraient être encouragées par l’EPBD afin de documenter les économies d'énergie intrinsèque, de ressources et d'émissions de carbone. Comme il devient de plus en plus difficile de réaliser des économies d’énergie dans les bâtiments à faible consommation énergétique, il convient de mettre davantage l’accent sur les économies d’énergie gris (intrinsèque aux matériaux de construction) et les émissions de carbone.
- Le développement de l’économie circulaire dans le secteur nécessite un meilleur accès à certaines données de base permettant d’effectuer des évaluations du cycle de vie et des d’analyse du coût du cycle de vie. Pour les entreprises de petite et moyenne tail e, réaliser une déclaration de performance environnementale d’un produit coûte cher. Ceci pourrait être facilité si l'UE mettait à disposition certaines données de base sur les matériaux et fournissait des outils de base pour leur analyse.
- Des exemples de bonnes pratiques et des études de cas devraient être rassemblés et publiés dans le cadre du déploiement de Level(s).
- L'UE et les États membres devraient encourager des passations de marché écologiques et circulaires – les marchés publics peuvent permettre une prise en compte globale des impacts environnementaux et de la création des déchets tout au long du cycle de vie des biens et des services.
Une mise en œuvre ambitieuse des principes de l'économie circulaire dans les secteurs du bâtiment et de la construction requiert la participation et la collaboration de toutes les parties prenantes, des fabricants de matériaux de construction aux acheteurs, constructeurs, utilisateurs, gestionnaires de bâtiments, entreprises de recyclage, etc.
Les architectes peuvent jouer un rôle clé dans cette chaîne, car de nombreuses décisions prises au cours de la phase de conception ont des conséquences sur les performances environnementales d'un bâtiment, tout au long de son cycle de vie.
Concevoir et construire des bâtiments de manière circulaire nécessitent de reconnaître qu’un bâtiment est avant tout un support de vie. Au-delà de l'optimisation de l'utilisation des ressources pour elles-mêmes, il est essentiel de chercher à préserver et à renforcer les valeurs économiques, sociales, environnementales et culturelles qu'un lieu incarne pour ses utilisateurs finaux, de manière à ce qu’il puisse être utilisé le plus longtemps possible.
Déclaration du Conseil des Architectes d’Europe (CAE) lors du Forum Mondial de l’Économie Circulaire le 3-5 juin 2019 à Helsinki.
(1) 2018 Global Status Report — Towards a zero-emission, efficient and resilient buildings and construction sector: https://globalabc.org/resources/document/102#document
(2) Communication of the EU Commission on "Resource Efficiency Opportunities in the Building Sector, July 2014: http://ec.europa.eu/environment/eussd/pdf/SustainableBuildingsCommunication.pdf
source: https://www.ace-cae.eu/uploads/tx_jidocumentsview/ACE_EWCF_Statement_FINAL_FR.pdf